Auteur | Olivier Hanne |
Editeur | les influences |
Date | 2022 |
Pages | 309 |
Sujets | Djihad Djihadistes Actes de congrès |
Cote | In-12 2692 (MSS) |
Ces Actes du Colloque tenu à l’École Militaire de Paris les 23 et 24 mai 2022 sur la notion de jihâd et ses effets au XXTe siècle (p.9) sont publiés sous la direction de M. Olivier Hanne, professeur à Saint-Cyr-Coëtquidan. Nous avions recensé en 2014 son Mahomet, le lecteur divin (Belin 2013) dans lequel il avait rappelé les grands traits de la carrière du Prophète et analysé les doctrines qu'on lui prête en matière religieuse, sociétale et militaire.
Ici, il montre que la prédation théologique des terroristes cherchant à justifier leur violence politique ne peut suffire à rendre compte des enjeux touchant l’islam (p.10). Le djihadisme, concept apparu en français en 1981, désigne l’utilisation des théories médiévales du jihâd au profit des combats politiques contemporains (p.12). Le terme « jihâd » apparait dans le Coran dans 35 versets avec la signification d’« effort d’ordre général » pour 22 versets, de « guerre » dans 10 versets et avec une tonalité spirituelle dans 3 versets. La dimension militaire est plus nette dans les 11 occurrences de l’expression « jihâd fi sabil Allah » (p.82). Dans les recueils de hadiths, le jihâd est la 3e œuvre la plus méritoire (p.83) tandis que la Sira alnabawiyya (biographie du Prophète) présente 34 occurrences de la racine JHD évoquant la lutte armée (p. 92) mais il existe des différences de sens selon les rédacteurs (p.100). Le but ultime du djihadisme est un projet politico-religieux d’instauration d’une société régie par un supposé « islam des origines » et par une charia réinventée (p.205). Le jihâd fut déjà utilisé comme un moyen de renforcer la fiscalité califale (p.208). Les évènements de 1979 créèrent un terreau favorable à une radicalisation religieuse dans le monde musulman et au lancement en politique des salafistes (p.211). Ces mouvements ont évolué : Al Qaïda prétend assurer une bonne gouvernance islamique, Daech fédère les partisans d’un djihadisme califal sans territoire mais mondial auquel on peut se rallier n’importe où. Ce djihadisme, nourri des fragmentations internes aux sociétés musulmanes et des aveuglements occidentaux, n’a plus rien à voir avec le jihâd historique (p.218).
M. Hanne prend comme exemple l’évolution des doctrines du djihadisme au Sahel depuis les souverains almoravides en passant par les jihâds noirs du XIXe siècle, le terrorisme islamiste algérien des années 1990, l’expansion dans la région d’Al Qaïda au Maghreb Islamique, et de Daech (p.224). En trouvant refuge dans le chaos libyen, les djihadistes avaient pu se constituer et s’armer (p.230). Depuis 2017, le djihadisme a gagné le Golfe de Guinée (p.238).
Simone Antonilli (Institut Catholique de Toulouse) met en lumière les raisons théologiques qu’ibn Tûmart donne pour justifier son jihâd dans le cadre de la propagande idéologique entre les dynasties almoravide et almohade (p.166).
Pour Scott Atran (Université du Michigan), le terrorisme international, issu du renouveau islamique et de la résurgence ethno-nationaliste a pour objectif de fragmenter le consensus social, refusant toute résolution de conflit (p.188).
Barbara Canova (ENS Paris) propose un projet de déradicalisation sur des bases anthropologiques et ethnologiques du fait que la crise sécuritaire dans la région des Trois Frontières (Mali, Niger, Burkina-Faso) accroit le problème de la scolarisation (p.284).
Yahya Cheikh (C.I.E.A. Paris) traite en linguiste de l’interprétation erronée du mot « jihâd » tout au long de l’histoire de l’islam par les théologiens (p.118). Il examine les définitions de ce mot et de ses dérivés dans les dictionnaires classiques et modernes successifs et propose de revoir ces définitions théologiques en tenant compte du contexte historique (p. 160).
Omero Marongiu Perria, islamologue, reconnait que le terme jihâd fait partir des notions coraniques polysémiques les plus difficiles mais les plus stimulantes à analyser (p.18). Le thème de la belligérance dans le Coran fait apparaitre d’autres termes plus explicites que celui de jihâd comme qitâl (p.22). D’autre part, les ouvrages consacrés aux circonstances de la révélation ne représentent que 5% du contenu du Coran (p.25). La théorisation du jihâd s’est d’ailleurs élaborée sur un temps long après l’expansion des empires omeyyade et abbaside (p.27). Les auteurs du champ religieux luttant contre l’extrémisme des groupes islamistes se trouvent aujourd’hui dans l’impasse (p.41.).
Allah-Kaouis Neneck, doctorant tchadien, décrit les exactions du groupe islamiste originaire du Nigéria Boko Haram qui exerce sa violence dans la province du Lac Tchad. Ce mouvement est perçu plus comme une insurrection opportuniste que comme une mobilisation de défense de l’islam (p.252). Dans ce cadre, les paysans Buduma sont pris en tenaille entre les djihadistes et les services de sécurité qui les traitent de complices (p.258).
Marwan Sinaceur, professeur à l’Essec, rappelle que ce ne sont pas les valeurs religieuses qui poussent à la violence mais le fondamentalisme en tant que tel (p.46). Ainsi 20% seulement des détenus de Guantanamo avaient reçu une éducation musulmane traditionnelle (p.49). Le conservatisme social n’est pas une cause de l’apologie du terrorisme musulman traditionnel, laquelle est due à des facteurs politiques (p.52). Les discours issus de la religion sont au contraire l’un des outils qui permettent de défaire le discours des djihadistes (p.79).
Pour le Cardinal Fernando Filoni qui fut nonce à Amman, Bagdad et Téhéran, une nouvelle approche originale entre les mondes musulman et catholique a été initiée par le Pape François et le Grand Imam d’Al Azhar en signant un Document sur la fraternité humaine Pour la Paix Mondiale et la Coexistence commune le 4 février 2019 (p.305).
Le lecteur appréciera les diverses bibliographies (p. 41,103, 160, 182, 238, 259), la carte des campagnes du Prophète (p.109), et celle de la descente du djihadisme sahélien vers le sud (p. 243), le schéma du jihâd au djihadisme (p.220), celui des réseaux du djihadisme au Sahel (p.244) et le tableau des penseurs du djihadisme contemporain (p.221).