La Perse et les racines chrétiennes de l'Occident

Recension rédigée par Christian Lochon


Sous le titre initial Mithra, Zoroastre et la préhistoire aryenne du Christianisme (Paris 1935), l’auteur (1879-1952) qui enseignait à l’EPHE, souhaitait montrer l’importance des croyances de l’Iran et de l’Inde dans l’histoire du judéo-christianisme (p.31). L’élément aryen, par son expansion sans combat, mérite une place plus grande que le judaïsme, le judéo-christianisme ou l’islam (p.50). Les empires grec, romain, byzantin ont été en permanence liés à la Perse (p.260). Les Chinois appelaient le christianisme « religion d’Iran » (p.5). On doit à J.C. Voisin, iranologue, la rédaction de la préface et des notes de bas de page de cette nouvelle édition.

Le rôle de l’Inde dans la diffusion de nombreux mythes religieux est mis en valeur par la présence supposée de Dravidiens ayant émigré du Kerala dans l’Égée minoenne. Le terme « Phéniciens » de « Phoinikes », palmiers en grec (p.73), prouverait qu’ils venaient de la « Côte des Palmes » ou Kerala (p.82). Les rives palestiniennes sont trop exiguës pour une grande force commerciale dont il ne subsiste pas de vestiges archéologiques (p.83). Les Phéniciens n’étaient donc pas sémites mais dravidiens, suppose l’auteur (p.7). Leur religion, le mithraïsme, est une religion chalcolithique (-6000 à -3000) de l’Inde dravidienne (p.33). Mithra serait né d’un rocher (p.12). Il tue le taureau dans une grotte malgré lui sur l’ordre du Soleil ; du cadavre naissent le blé et les plantes utiles (p.131). Mithra a le sens d’accord, de contrat ; il est donc l’ami par excellence (p.56). Du XXXe au XVIIe siècle, le couple souverain Shiva et le taureau Nandi et Mahadevi, libre et vierge, déesse de la fécondité (p.65), sont des divinités préaryennes égyptianisées en Osiris/Isis et hellénisées en Cybèle/Artis (p.67). Le Linga de Shiva aux 3 yeux (passé, présent, futur) apparaît en Crête en Zeus Triopas à 3 yeux (p.68). Mithra est en couple avec Anahita, l’Immaculée (p.58), Grande Déesse Mère (p.60) dont le culte est en Cappadoce. Le mithraïsme dura en Cappadoce jusqu’au Ve siècle (p.112). L’influence du Mithraïsme sur le christianisme primitif est visible dans les yeux bandés des néophytes et la simulation de la mort lors de leur initiation (p.14). A Rome, il est « sol Invictus”, invincible (p.57). Le bonnet phrygien dont Mithra est couvert est le chignon chivaïte (p.107).

Suit la période aryenne. Les Aryens comme se désignent Indiens et Iraniens (p.36) repoussent les Dravidiens en imposant les castes, en sanskrit « varna » ou « couleur », comme procédé de défense des brahmanes, guerriers, marchands et paysans. Le culte de Shiva préaryen est récupéré par les Aryens. Les Vedas sont desrecueils d’hymnes et de rites (p.35). Mithra dans les Védas est un grand Adutya tandis que dans l’Avesta, il est réduit au rang de « yazata » ou ange ; néanmoins il est juge des âmes post mortem (p.54). Le mythe de Prométhée est à rapprocher de. Prematha, nom des démons, desservants du culte de Shiva (p.103) dans le Mahabharata.(p.103)

En Iran, dans le cadre religieux, les Perses Achménides quittent le mithraÏsme qui pratiquait les hécatombes animales (p.37). Le zoroastrisme est adopté par les Arsacides (-225 à +226) puis les Sassanides (224-652) comme religion d’État (p.41). L’Avesta, où Ahura Mazda est assisté par les Amshapands ou Immortels bienfaisants (p.165) est réécrit avec des ajouts hellènes et indiens (p.42). Il comprend les gathas, (hymnes), les yachts, hymnes d’adoration aux favrashis (ange-gardien), à Mithra et le Vendidad Sadé vers 150 b.C. Les Gathas rappellent les Upanishads de l’Inde par les instructions eschatologiques (p.247).

Avesta décrit la Création puis l’état mixte puis la dissolution (p.159). Zoroastre (660 à-583) est connu en Asie Mineure dès Platon qui le cite dans son Alcibiade (p.157). Un descendant de Zoroastre sera la Sauveur, Saoshyant qui annoncera le Jugement et l’instauration définitive du Royaume d’Ormudz (p.156). Au IIIe siècle, le Manichéisme s’opposera à l’Église zoroastrienne sassanide (p.47).

C. Autran résume les parallélismes frappants entre judaïsme renouvelé et zoroastrisme (p.237) par cette formule : « Jérusalem céleste est la firme juive du « Royaume de Dieu » (p.239). Le zoroastrisme représente avec le judaïsme les affinités les plus sensibles (p.252). Yahvé parle en Iranien : « Je suis Yahvé qui façonne la lumière et crée les ténèbres, qui fait le salut et le mal (p.184). Satan s’oppose à Yahvé (p.215). Les Juifs ont remercié Cyrus dans la Torah en lui donnant le titre de Messie, Oint du Seigneur (p.199). Les noms des anges ont été rapportés par les Juifs de Babylone d’après le Talmud de Jérusalem (p.213).

Comme les Kerubim (chérubins) taureaux ailés babyloniens (p.204) ou les Serafim, serpents angélisés (p.204), les premiers juifs croyaient au sheol post mortem ; après l’Exil, ils admettent le Paradis, « pairi daeza », jardin enclos et la Géhenne, de l’avestique « gaethanam » qui a donné « jihan » (p.218). Daniel aurait vécu à la cour de Suse ; son tombeau est visité par les juifs, musulmans et chrétiens.  Grâce à l’Iran, la synagogue est née, libérant les juifs de toute attache territoriale (p.261). Dans le calendrier zoroastrien, chaque jour est consacré à une divinité ; le sabbat reprendrait le Jour d’Ahura Mazda (p.251).

L’auteur relève des mythes semblables indiens et chrétiens comme la Trimurti, constituée de Brahma, Vishnu, Shiva (p.127 et 136) et la Trinité, les ressemblances dans les vies de Krishna et du Christ, la naissance dans une grotte, la fuite de la famille, la massacre des innocents (p. 196), le culte de Mithra époux et fils d’une Mère vierge (p.143).

Le Christianisme a largement puisé dans les religions d’Iran ancien mais le passage par le judaïsme a renchéri les emprunts (p.11). Grâce à l’Iran, le judéo-christianisme a cessé d’être un monothéisme pur pour devenir une religion du Salut (p.263). Parmi les emprunts du christianisme, C. Autran propose (p.12 et 143) : un Dieu bon et Tout Puissant, des Archanges et des Anges, l’attente d’un Sauveur ; le culte dans des grottes (p.12) ; la fête de l’Épiphanie, où le Sauveur et sa mère reçoivent des Mages le premier hommage (p.94 et 195). Le bœuf est présent dans la théologie zoroastrienne, héritage de l’avant mazdéisme comme en Inde la vache (p.255) ; l’âne Khara a également un rôle cosmique anté-aryen souligné dans l’Avesta et les textes pehlevis ; l’âne et le bœuf de la crèche sont représentés sur un sarcophage milanais du IVe siècle (p.255). Satan est le tentateur de Jésus comme Ahriman tente le Saosyant (p.214).

La Montée au Ciel de Jésus, Verbe divin et Logos comme il est présenté dans l’Évangile de Saint Jean et dans l’Apocalypse rappellent les conceptions zoroastriennes (p.245). Mathieu V.29 ss reprend l’Avesta XXIV « Alors apparaitra le signe du Fils de l’homme dans le ciel… Tenez-vous prêts ! Heureux celui que le maître trouvera fidèle » (p.244). A dater de la prophétie d’Isaïe (IVe- IIIe) et des Arsacides, l’apocalyptisme apparait. Le judaïsme influencé par l’Iran conduira à l’Apocalypse de Saint Jean. Le jugement posthume, la Résurrection passeront dans le milieu judéo-chrétien de Galilée (p.241). Le clergé masculin est seul chargé des offices et des sacrements, la femme étant source d’impureté (p.141). Dans les mystères de Mithra, le célébrant consacrait des pains marqués d’une croix et de l’eau mélangée de vin (p.132). Comme est prescrite l’aumône dans le zoroastrisme pour la rémission des péchés, le christianisme adoptera les indulgences (p.257). 

Pour JC Voisin, l’essentiel du travail d’Autran reste d’actualité. L’influence du zoroastrisme sur les religions du Livre n’est pas remise en cause (p.13).

Les illustrations ont été empruntées à l’ouvrage de Franz Cumont Textes et monuments figurés relatifs aux mystères de Mithra (p. 61,78, 79, 123, 138). Le lecteur appréciera la bibliographe actualisée par JC Voisin (p.267) modernisant la bibliographie d’Autran ainsi que les notes de bas de page rajoutées fort utilement (p.271).