Auteur | Alice McDermott ; traduction de l'anglais (États-Unis) par Cécile Arnaud |
Editeur | La Table ronde |
Date | 2024 |
Pages | 343 |
Sujets | Roman américain 2000-.... |
Cote | 69.091 |
Peintre méticuleuse des personnages féminins, l’auteure américaine Alice McDermott offre aux lecteurs, avec ce neuvième roman, une nouvelle toile tout en finesse, sur fond d’entame de la guerre du Việt Nam.
Patricia, jeune mariée de 23 ans, a suivi son mari à Saïgon, et tente, malgré sa jeunesse, sa gaucherie et sa naïveté, de s’intégrer au milieu très fastueux des expatriés américains. Entre les garden-parties, la juste distance à conserver avec le personnel autochtone, les manœuvres diplomatiques et - surtout - la place d’épouse exemplaire qu’elle se doit de tenir dans la carrière de son conjoint, Tricia, ainsi qu’on l’appelle, fera les frais de son inexpérience.
Heureusement - ou malheureusement - pour elle, elle s’attirera l’amitié de Charlene, autre femme d’expatrié, qui, elle, maîtrise à la perfection les codes de cette société privilégiée et cloîtrée.
Les mois qu’elle passe à Saïgon nous sont livrés après coup, dans un échange épistolaire que Patricia, à présent âgée, entretient avec Rainey, la fille de Charlene. Un échange au cours duquel les deux femmes vont confronter leurs souvenirs, leurs vécus, leurs histoires.
Car Charlene, loin de se satisfaire de son rôle de « femme de », a fait de la charité son cheval de bataille et entraîne, à son corps défendant, Patricia, dans son sillage dynamique, voire autoritaire. C’est ainsi qu’au travers d’actions caritatives pour les « indigènes » - notamment la confection d’áo dài pour poupée Barbie et les visites en léproserie -, Patricia entreverra la réalité du monde dans lequel elle s’est installée, bien à l’abri derrière les murs protecteurs de la communauté des expatriés américains.
C’est en creux que l’auteure nous décrit le Saïgon des années 60 : la flambée de violence est décrite sous couvert d’une hausse des recommandations à la vigilance des époux ; le sentiment de colonisation par les rapports plus tendus du personnel vietnamien ; la volonté d’indépendance du pays par celle, plus modérée, d’un affranchissement des domestiques…
Six décennies plus tard, Patricia et Rainey se questionnent sur leurs rôles et leur incidence dans l’Histoire. Les actions caritatives de Charlene et Patricia peuvent-elles être mises en balance à la guerre qui suivra leur séjour ? Sont-elles de « belles personnes » qui ont agi selon le Tikkun Olam, « réparer le monde » ? Ou doivent-elles trouver quelque part l’absolution ?
Ainsi, la guerre du Việt Nam n’est abordée qu’à demi-mot, tout en prenant tout l’espace de la narration. Au premier plan, le mode de vie des expatriés n’en paraît que plus déplacé et la vie des épouses plus insignifiante : jamais Peter, le mari de Patricia, ne prendra la peine de lui expliquer ce qui se passe. Pour la protéger sans doute ?
Les dernières pages du roman n’en sont que plus violentes. Outrepassant toutes les convenances, Charlene, authentiquement convaincue de sa primauté - et de celle des Américains - n’hésitera pas à offrir à Patricia ce dont elle rêve et qu’elle ne peut obtenir. Une ouverture pour la narratrice de s’émanciper du rôle qu’elle subit. Mais avec quelles conséquences éthiques ?
Absolutionest un roman magnifique, une voix féminine dans un moment historique pour le moins masculin, qui met à jour les fissures, les regrets, les questionnements que les protagonistes ont sans aucun doute portés, en secret, comme un tabou. Un tabou toujours d’actualité, tant ce sujet reste peu abordé, si ce n’est sous l’approche géopolitique et militaire.
Un roman qui, du fait de l’actualité, ne peut que faire un parallèle entre l’émancipation des peuples et celle des femmes.