L'Exposition universelle de 1867 : l'apogée du Second Empire

Recension rédigée par Dominique Barjot


Conservateur en chef du patrimoine et professeur d’histoire des institutions, de diplomatique et d’archivistique contemporaines à l’École nationale des chartes, Édouard Vasseur a publié un ouvrage très attendu sur l’exposition universelle de 1867. Il est le fruit d’une longue maturation, puisqu’il fait suite à une thèse d’archiviste paléographe soutenue en 2001, puis à une thèse de doctorat d’histoire soutenue avec brio en 2005, à l’Université Paris-Sorbonne aujourd’hui Sorbonne université. Dirigée par moi-même, cette seconde thèse s’intitulait L’Exposition universelle de 1867 à Paris, aperçu d’un phénomène de mode français au XIXe siècle, 710 p. + annexes, 2 vol.

Édouard Vasseur est un très brillant historien dans la tradition de chartiste comme Yves-Marie Bercé, Bertrand Gille ou Jean Favier. Il nous livre en effet un ouvrage exceptionnel, même si l’on peut regretter que la dimension historiographique très présente dans la thèse de 2005 ait été sacrifiée et qu’il y manque une bibliographie générale de fin de volume. Pourtant, l’abondance des notes de fin de volume le démontre à l’évidence : Édouard Vasseur s’est livré à un dépouillement exemplaire d’immenses fonds d’archives qu’il a intégralement croisées avec une bibliographie parfaitement maîtrisée. L’ouvrage s’appuie d’abord sur les archives de la Commission impériale. Leur étude repose pour l’essentiel sur la confrontation des procès-verbaux de la Commission et des différentes entreprises conduites par Frédéric Le Play. S’y ajoute l’ensemble des publications éditées au moment de l’événement. Il s’agit par exemple du rapport publié sous la direction du jury international des récompenses, riche d’informations par groupes de produits, du recueil des articles des Annales du Génie civil, essentiellement pour l’iconographie, et de la Revue des Deux Mondes.

Le plan de l’ouvrage est d’une grande clarté. L’introduction générale se concentre sur la cérémonie d’ouverture du 1er juillet 1867, fastueuse, mais gratuitement accessible au public, organisée autour de la famille impériale et du sultan ottoman Abdul Aziz et des représentants des principales familles princières d’Europe. Elle symbolise la réussite exceptionnelle de l’Exposition de 1867 par comparaison à celles de Londres (1851, 1862) et de Paris (1855), qui l’ont précédée, même si le contexte international se révèle inquiétant : en permettant une compétition industrielle et artistique internationale, elle offre un modèle inégalé d’exposition.

La première partie traite des « préparatifs ». Le chapitre 1 revient sur « l’héritage » : naissance des grandes expositions en 1798, pérennisation et diffusion du phénomène en France et à l’étranger, naissance de l’Exposition universelle en 1851, tenue de la première exposition de Paris en 1855, retour à Londres. Le chapitre 2 analyse « les motivations et le contexte ». Les intérêts des industriels rejoignent l’argumentation officielle : le Second Empire souhaite valider les conséquences du coup d’état douanier, soutenir l’excellence de la production nationale et approfondir l’ouverture politique et sociale du régime. Quant au chapitre 3, il met en lumière les « premières mesures et les choix structurants. Dans un contexte politique et diplomatique en cours de dégradation, le Second Empire met en place une équipe projet rodée à l’organisation des expositions, une commission impériale rassemblant les principaux notables du régime et un montage financier crucial pour l’avenir. La localisation de l’exposition se situe au croisement d’enjeux économiques et artistiques ; après l’établissement du règlement et de ses grandes orientations le projet est ratifié.

Dès lors s’engage « le compte à rebours ».  L’équipe en charge du projet œuvre en priorité au chantier principal, celui du palais du Champ-de-Mars. L’exposition prend un tournant de plus en plus entrepreneurial : fournir des services à moindre coût, recruter des exposants, garantir le caractère universel de l’exposition. La dernière ligne droite s’effectue dans un contexte marqué par la guerre austro-prussienne. Le chapitre 5 passe au scanner « les stratégies » à partir d’une série d’exemples : Léon Roches et Charles de Montblanc, avocats de la stratégie de l’empire informel ; Ferdinand de Lesseps, expert en relations publiques ; Gustave Courbet et Édouard Manet revendiquant avec succès leur indépendance ; Victor Duruy, qui en fait une vitrine politique. Tout ne réussit cependant pas comme le montre l’échec d’Arnaud de Quatrefages, zoologiste et anthropologue, qui publie la même année 1867 son rapport sur la recherche anthropologique en France.

La deuxième partie traite du « déroulement de l’exposition ». Le chapitre 6 décrit « les espaces » : le palais et le parc du Champ-de-Mars, les berges de la Seine, le jardin réservé, l’annexe de Billancourt, les expositions hors les murs à Paris et les expositions de l’impératrice. Le chapitre 7 s’intéresse aux « exposants et » aux « expositions » : typologie des exposants, stratégies de groupements et d’arrangement des expositions ou de présentation des objets. L’objet y est décrit dans tous ses états en insistant sur les mises en scène et en portant une attention particulière au groupe X, consacré aux objets destinés à améliorer la condition physique et morale de la population. Le chapitre 8 s’intitule « l’utile et l’agréable ». Il passe en revue les services au public :  restaurants, cafés, brasseries, conférences et congrès. Si l’exposition constitue en soi un spectacle, elle en intègre aussi musique, théâtre et divertissements de toutes natures.

Quant au chapitre 9, il se focalise sur « visiteurs et visites ». Il examine ainsi la situation des transports, les tarifs et le règlement des entrées, la place occupée par le catalogue, les guides touristiques et les souvenirs, discute des statistiques effectives. Nombreux sont les souverains et chefs d’État à se rendre à Paris, mais l’Exposition reçoit beaucoup d’autres personnalités célèbres. Elle accueille aussi beaucoup d’ouvriers ainsi qu’un instituteur et leurs élèves. Enfin le chapitre 10 prend de la hauteur en s’intéressant à l’environnement parisien (« Paris, l’autre exposition universelle »). Dans une ville en pleine transformation, 1867 est l’année des inaugurations. La capitale française offre hôtels, restaurants et boutiques, spectacles et rêves. Elle suscite l’intérêt des souverains étrangers comme Alexandre II, Guillaume Ier accompagné de Bismarck ou François-Joseph. L’exposition coïncide avec le lancement du Paris guide par les principaux écrivains et artistes de la France dont Victor Hugo qui se fait le chantre de Paris et de l’unité européenne, mais aussi de l’exposition « grande convention pacifique ».

La troisième et dernière partie s’intitule « réception, liquidation, bilans et héritages ». Le chapitre 11 revient sur l’environnement événementiel de l’exposition (« Pendant ce temps »). Tandis que les préparatifs se sont effectués sous le signe des tensions intérieures, l’inauguration se réalise sous la menace d’une guerre. Certes le printemps 1867 se passe sous le signe de l’accalmie avec une série de visites royales, mais l’été se place sous celui des « points noirs » (échec du Mexique, tension autour du budget de l’État, vote de deux lois fondamentales sur les conseils municipaux et les sociétés commerciales, difficulté d’un rapprochement avec l’Autriche), au point qu’à l’automne l’opinion redoute une guerre imminente.

Le chapitre 12 s’intéresse à « la réception ». « Merveilleuse », l’Exposition apparaît aussi « épuisante » et « envahie ». Les visiteurs sont sensibles au charme des machines, de l’Orient et des restaurants. Si la fierté nationale s’y exprime largement, elle n’exclut pas le chauvinisme et la surestimation de soi. En outre, « derrière les discours mettant en valeur l’authenticité des exhibitions, le sérieux du concours industriel, les progrès scientifiques et le caractère pacifique de la compétition pointent en effet le faux-semblant, les ambitions commerciales et la crainte de la guerre ».  De plus, le sentiment d’un danger prochain, d’une trêve permise par l’Exposition et qui va bientôt prendre fin » conduisent à un pessimisme noir autour des trois termes « débauche décadence déchéance ».

Le chapitre 13 revient aux réalités concrètes avec « la liquidation ». Dans un contexte politique et social tendu, il faut libérer le Champ de Mars, commémorer et récompenser, publier les rapports, gérer les inévitables contentieux et distribuer les bénéfices. En avril 1868, les recettes dépassent de plus de 2 millions de de francs les dépenses, d’où le partage, acté le 26 avril 1870, de 2,4 millions de francs entre l’État et la ville de Paris. 600 000 francs restent encore à la disposition du service de liquidation, dirigé par Émile Cheysson, pour parer aux risques en cours, et somme qui ne sera pas redistribuée par la suite des événements ultérieurs.

Quant au chapitre 14, « bilans », il s’interroge sur la réussite de l’organisation, le bilan économique plutôt positif, mais aussi sur l’impact effectif de la venue des souverains à Paris, de la visite de l’exposition par les ouvriers et instituteurs publics ainsi que sur le retour sur investissement pour les exposants. Sur ce point, le résultat est inégal. En profitent notamment les principautés danubiennes, le Japon, la Compagnie universelle du canal de Suez, mais d’autres sont déçus.

Le chapitre 15 et final cherche à évaluer les « héritages ». Il s’agit évidemment de vestiges immobiliers, mobiliers, mais aussi témoignages littéraires et artistiques. L’Exposition de 1867 constitue un tournant au profit du japonisme mais aussi engendre un engouement pour les arts et traditions populaires. Enfin, l’Exposition universelle de 1867 influence fortement l’histoire des expositions universelles. Au moins jusqu’en 1900, celle de 1867 constitue un modèle auquel il est impossible de ne pas se référer comme l’atteste l’adoption du système de classification conçu par Frédéric Le Play et surtout la naissance des pavillons.

La conclusion revient d’abord sur la fin de la phase de liquidation, entre août 1871 et juillet 1872. Elle rappelle que l’exposition est un véritable succès, caractérisée par une atmosphère de fête, mais celui-ci ne peut être totalement associé à l’apogée du Second Empire. Certes, la France remporte la compétition par le nombre de médailles mais elle apparaît en retard en matière d’innovation technologique face à la Prusse, notamment pour l’acier et la chimie organique. De même, malgré la promotion du paternalisme de Le Play et l’espoir mis dans l’association des ouvriers à la manifestation, un fossé persiste. Surtout, les inquiétudes portent sur la dimension internationale. L’empire informel, par exemple, encore solide dans le beylicat de Tunis, est menacé par la catastrophe mexicaine et la victoire du mikado au Japon. En revanche, l’Exposition de 1867 marque le début d’une ère nouvelle avec un raccourcissement des distances mondiales grâce à la révolution des transports, l’émergence de nouveaux acteurs internationaux, le développement de l’anthropologie et de l’ethnographie.

En définitive, les expositions universelles ne sont pas seulement des manifestations polymorphes qu’industriels, nations, savants, entrepreneurs de spectacles et du tourisme naissant investissent, les transformant en produits de consommation ».

Pourvu d’une illustration originale et d’un index très complet, l’ouvrage fera référence pour longtemps.