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La civilisation des chrétiens d'Orient : une traversée du temps et du monde

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Recension rédigée par Christian Lochon


Dans cet ouvrage superbement illustré, le Directeur de l’Institut National du Patrimoine rappelle l’évolution du christianisme au Proche-Orient, l’histoire des chrétiens de cette région où ils ont imprimé leur civilisation et le danger qui les guette aujourd’hui, cet exode imposé ou choisi qui a pris de l’ampleur durant toute le XXe siècle. Le Liban qui faisait figure de havre ultime est menacé par un départ massif de ses jeunes citoyens chrétiens. Leur fuite définitive scellerait-elle donc l’étiolement de la présence chrétienne dans cette région (p.87).

Constantin, en 313, institue la liberté de culte pour les chrétiens (p.11). A la fin du Ve siècle, les Églises orientales sont fragmentées : les patriarcats grecs des grandes métropoles méditerranéennes, l’Église d’Orient en expansion vers l’est, l’Église Copte s’étendant à la Corne de l’Afrique, les églises syriaques autonomes en Syrie (p.15). Au VIIe siècle, les provinces orientales de l’Empire byzantin sont envahies par les armées musulmanes (p.18). De nombreux chrétiens se convertissent à l’islam sous les pressions fiscale et sociale (p.19). Le fiqh donne aux Patriarches chrétiens la représentation politique et la perception de l’impôt sous les Abbassides puis sous les Ottomans (p.19), les chrétiens représentant 20% de la population totale et étant mieux éduqués du fait de leurs institutions scolaires encadrées par les missions étrangères autorisées par les Capitulations (p.29). Ce qui entrainera les génocides des Arméniens (p.33), des Assyro-chaldéens (p.35) et des Grecs, organisés par le Gouvernement Ottoman entre les années 1880 et 2020. Les États arabes libérés n’accorderont pas non plus aux chrétiens une participation politique égale à celle de leurs concitoyens musulmans (p.23, 38).

Entre les IVe et VIIe siècles, les œuvres des Pères de l’Église, Jean Damascène (p.26), Jacques d’Edesse, constituent une floraison intellectuelle d’une grande spiritualité (p.11). Surgissent des querelles (monophysisme, diphysisme) autour de la nature du Christ, surtout politiques entre Constantinople et ses provinces orientales (p.12), n’empêchant pas une certaine unité du christianisme oriental des premiers siècles (p.15). A partir du IIIe siècle, le monachisme apparait en Égypte, à Gaza, en Judée, en Samarie, en Syrie puis des communautés cénobitiques se forment autour des Saints Antoine (p.130), Pacôme, Hilarion (p.161), dont l’exemple essaime en Occident (p.16). Parmi les arts liturgiques, la musique sacrée, le chant polyphonique comme expression de la prière commune, sont essentiels dans la formation des prêtres (p.153). Parfois des sistres accompagnent les chants sacrés comme en Égypte (p.101). Les objets liturgiques rivalisent de beauté, lampe cruciforme (p.97), chandelier (p.98), encensoir (p.100), patène (p.102), pyxides pour les hosties (p.103), calice (p.104), cuillère liturgique (p.105), éventail liturgique ou flabellum, croix éthiopienne (p.109), tunique liturgique copte (p.110), rideau d’autel arménien (p.113), reliquaire (p.114), ampoule de Saint Menas (p.122) pour les pèlerins (p.115) ; coffret reliquaire contenant la terre des lieux de vie du Christ (p.117). Les représentations iconographiques des saints cavaliers Georges, Théodore, Mercurius sont omniprésentes dans la région (p.125). L’apparition tardive de l’imprimerie fit conserver longuement la tradition manuscrite (p.139). Le Patriarche syrien catholique Ignace Rahmani (1848-1929) rassembla de nombreux manuscrits au monastère libanais de Charfeh (p.140). A Mossoul, le clergé et les fidèles emportèrent au péril de leur vie les manuscrits vers le Kurdistan en 2014 lors de la prise de la plaine de Ninive par Daech (p.142).

L’auteur nous fait découvrir les monuments d’un pays à l’autre, à commencer par les inscriptions chrétiennes nabatéo-arabes de 478 en Arabie (p.147). En Arménie, l’évangélisation a lieu au IVe siècle avec la conversion du roi Tiridate par Saint Grégoire (p.65). Un complexe monastique du Xe siècle se déploie à Horomos (p.170). Les croix ou « khachkars » se caractérisent par d’originales sculptures dentelées (p.88). Grégoire de Narek, moine du Xe siècle, proclamé docteur de l’église en 2015, a rédigé Les Paroles à Dieu, chef d’œuvre de la littérature arménienne (p.137). Le Musée du Matenadaran à Erevan rassemble des enluminures et des manuscrits arméniens de Cilicie, de l’Arsakh (p.151). En Égypte, Alexandrie grande cité hellène, est le siège d’un Patriarcat orthodoxe puis copte (p.81). En Haute Égypte, au IVe siècle, des monastères rassemblent des communautés importantes comme à Sohag (p.67 et 85). Le monastère de Sainte Catherine, fondé au Sinaï au Ve siècle est un conservatoire de l’art de l’image orientale (p.121). En Éthiopie, des missionnaires syriens convertissent au IVe siècle l’Empereur d’Axoum Ezana (p.59). On les voit représentés sur la coupole de l’église d’Abuna Yemata au Tigré (p.127).  Des manuscrits enluminés rédigés en guèze sont conservés depuis le VIe siècle (p.152). La ville de Lalibela, conçue pour remplacer le pèlerinage à Jérusalem, accueille des dizaines de milliers de pèlerins dans ses onze églises creusées dans les falaises (p.174). La vénération de l’Arche d’Alliance y demeure une des originalités du christianisme éthiopien (p.68). En Irak, depuis son siège à Ctésiphon-Séleucie, l’Église d’Orient poursuit sa diffusion vers le Golfe Persique, l’Inde (p.63), l’Asie Centrale, la Chine (p.70), indépendamment de Rome (p.60). Évangélisée très tôt, Mossoul conserve des églises des VIIe et VIIIe siècles. Les chrétiens demeurent influents dans le négoce et l’artisanat, bénéficiant des écoles de missionnaires. Daech détruira une grande partie de la ville en 2017 (p.72), particulièrement les églises (p.177). En surplomb de la plaine de Ninive, le couvent syro-orthodoxe de Mar Matta entretient des relations avec l’Inde (p.155). En Iran, au XVIIe siècle, Chah Abbas déportera les Arméniens de Djoulfa, occupée par les Turcs, à Ispahan où ils développeront le commerce international et l’industrie. Leurs églises y présentent une décoration très élaborée (p.75). Les Arméniens continuent à se rendre en pèlerinage au monastère de Saint Thadée (p.186). En Palestine, Constantin en 339 fait édifier une basilique à Bethléem, reconstruite par Justinien (p.7 et 139). A Jérusalem, Constantin fait bâtir une vaste basilique qui rassemble les lieux saints ; l’édicule abritant le tombeau a été restauré en 2016 (p.9). Le royaume latin s’y maintient entre 1099 et 1187. Au Soudan, Dongola, évangélisée au VIe siècle conserve les ruines d’églises du Xe siècle (p.168). En Syrie, à Damas, la maison d’Ananie connut la conversion de Saint Paul et la Cathédrale devenue Mosquée Omeyyade abrite toujours le tombeau de Saint Jean Baptiste, Yahya des musulmans. Les Patriarches Grec-Orthodoxe, Grec-Catholique, Syro-orthodoxe y résident (p.59). Antioche devient siège patriarcal et l’École de théologie accueillera Jean Chrysostome, Théodore de Mopsueste et Théodoret de Cyr (p.57). L’architecture « romane » du sanctuaire de Saint-Siméon, dans le Nord-ouest Syrien, conçue autour de la colonne du stylite, fut un lieu de pèlerinage. L’ensemble a été endommagé par Daech puis par le tremblement de terre de 2023 (p.162, 166). L’église de Mar Moussa abrite une fresque du XIIIe siècle du Jugement dernier (p.133 et 164). Les missions développent les écoles de garçons et de filles. Une des premières imprimeries du Moyen-Orient est installée à Alep en 1704 (p.71). En Turquie, à Edesse à partir du IIIe siècle, se forge une culture syriaque chrétienne féconde (p.17). Le monastère Mor Gabriel de Tur Abdin à la frontière syro-turque est décoré d’une mosaïque byzantine du début du VIe siècle marquant la protection impériale jusqu’à ses limites orientales (p.129).

Récemment, les Églises orientales et Rome se sont rapprochés. En 1973 puis 2017, les Papes Paul VI et François signent avec les Patriarches coptes Chenouda et Tawadros des accords résolvant les divergences sur la nature du Christ. En 1984, le Pape Jean-Paul II signe un accord similaire avec le Patriarche syro-orthodoxe Zakkas Ier, puis en 1994, avec le Patriarche de l’Église d’Orient et avec l’Église indienne syro-malabare, suivi en 1996 d’une déclaration commune entre Jean-Paul II et le Catholicos Karékine Ier (p.188).

Le livre montre également les diasporas des chrétiens d’Orient dans les différents continents ; ainsi en Australie aux XXe et XXIe siècles (p.71). Aux États Unis, les tribulations de l’Église de l’Orient en Irak en 1930 la conduisirent à installer son siège patriarcal à Chicago. Le siège est revenu à Erbil et actuellement à Bagdad (p.95). En France, des Assyro-chaldéens érigent à Sarcelles une église puis à Arnouville, inaugurée en 2016 par le Patriarche chaldéen Louis Sako (p.93).

Le lecteur découvrira les somptueux sites chrétiens dans des pays aujourd’hui islamisés. Il apprendra qu’une présence chrétienne constitue une invitation à la citoyenneté au Moyen-Orient. Ainsi, le Grand Imam d’Al Azhar en mars 2017 a déclaré que les non-musulmans ont les mêmes devoirs et les mêmes droits que les musulmans. De nombreux musulmans reconnaissent la contribution des chrétiens dans le domaine de l’éducation. 60% des élèves des écoles chrétiennes sont musulmans (p.187).